J’ai souhaité vous partager aujourd’hui le témoignage de Sophie, qui se bat continuellement avec son poids, son corps et la nourriture depuis 10 ans maintenant, et qui en souffre. Elle nous raconte son parcours enfant, adolescente et ce qu’elle a décidé de faire aujourd’hui pour s’en sortir. J’espère que cela pourra aider des personnes à se reconnaître, à ne plus se sentir seules et à faire la démarche d’être aidées auprès de thérapeutes. Bonne lecture ❤️

J’ai commencé à être en surpoids quand j’avais 3 ans. Mon médecin traitant a dit à mes parents qu’il fallait me surveiller. Souvent, on m’a fait des remarques au moment du repas qui me mettaient mal à l’aise ou me faisaient me sentir humiliée devant le reste de ma famille.

Dès l’école maternelle, j’ai vécu des « micro-agressions » vis-à-vis de mon corps et mon apparence physique. Je me souviens qu’une petite fille m’avait dit que mes copines m’appelaient « grosse vache » et une fois, un garçon m’avait serré très fort le bras en me disant que de toute façon, ma graisse allait amortir. J’avais donc l’impression que mes camarades ramenaient souvent tout à mon poids. À côté de cela, j’avais d’excellentes notes à l’école et on me disait mature pour mon âge. Dans mon esprit, je me suis dit que j’étais peut-être intelligente mais que ma laideur et ma grosseur me rendaient inférieure aux autres, comme si j’avais moins de valeur qu’eux. J’ai appris à compter beaucoup plus sur mon esprit que sur mon physique. Mon poids a été aussi, très tôt, une préoccupation pour mon entourage.

Mes grands-mères ont souffert de TCA toute leur vie. Enfant, je les entendais régulièrement critiquer leur propre corps. Elles me disaient aussi de faire attention, que mon poids les préoccupaient. J’ai l’impression d’avoir en quelques sortes hérité de leurs propres complexes et mal-êtres. Mes parents me disaient aussi de limiter ce que je mangeais parce que je le regretterai plus tard. J’ai beaucoup entendu : « Tu vas le regretter ». Ils avaient peur aussi que je leur en veuille, que je les tienne responsables de mon corps. J’ai grandi en détestant ce à quoi je ressemblais. Je ne me souviens pas qu’on m’ait dit que j’étais belle à un moment donné. Parfois, mignonne oui mais jamais belle ou jolie.

Lorsque l’un de ces deux mots étaient prononcés à mon égard, ils étaient suivis de : « Mais tu serais encore plus belle si tu faisais attention » ou « Tu serais beaucoup plus jolie avec quelques kilos en moins ». J’ai toujours vu la beauté comme un synonyme de minceur ou du moins, comme n’étant pas compatible avec la grosseur. On m’a aussi souvent dit qu’il ne fallait plus que je prenne du poids et que comme ça, quand j’allais grandir, j’allais m’affiner si je continuais à peser le même poids tout en grandissant. C’est sûrement à ce moment-là, vers 8 ans, que j’ai développé la peur de grossir.

Pendant des années, je me suis dit qu’il fallait que je mincisse, alors que je continuais à grossir. Parfois, je m’imaginais que je serai mince quand je serai plus grande. À d’autres moments, j’avais l’impression que mes rondeurs étaient une fatalité.

À 13 ans, j’ai voulu me « prendre en main » ; je me levais tous les matins à 6 heures pour faire du sport. Mon entourage a commencé à me féliciter, à m’encourager. Je mangeais de moins en moins, et j’ai perdu du poids. Au bout de quelques mois, j’avais repris le double. J’avais atteint un poids qui me mettait mal à l’aise. Au collège, les moqueries et remarques continuaient : « Quand on est comme toi, on ne doit pas porter ce genre de pantalon » m’avait dit un garçon qui m’a fait comprendre jusqu’en classe de terminale que mon existence était pour lui une erreur. « Entre toi et moi, tu ne rêverais pas de me ressembler ? », m’avait dit une de mes amies les plus proches en classe de sixième. Un garçon à qui j’avais marché sur le pied par inadvertance m’avait crié dessus : « Mais tu pèses combien ? T’es énorme, tu m’as fait super mal ! Tu dois peser une tonne ! ». D’autres garçons avaient dit en rigolant qu’ils ne voulaient pas manger avec moi et mes copines parce qu’ils avaient peur que je leur vole leur déjeuner. J’ai vécu toutes ces remarques comme une véritable violence. Elles n’étaient pas quotidiennes, je devais en recevoir une tous les mois en moyenne. Mais elles ne sortaient jamais de mon esprit. J’ai appris à ne pas parler de nourriture en public ainsi qu’à toujours limiter ce que je mangeais à la cantine pour les éviter.

En privé, je mangeais beaucoup. Je n’avais aucun contrôle sur ce que je mangeais. Entre les repas, je me regardais dans ma cuisine et, comme hors de mon corps, je tartinais frénétiquement du beurre sur du pain. Parfois, c’était du fromage ou des gâteaux. Un jour, après une énième crise, j’ai décidé que c’était fini. Que maintenant, je ne me laisserai plus aller. J’ai téléchargé une application pour compter les calories que j’ingérais et celles que je dépensais (ce que je déconseille à tout le monde de faire car c’est un véritable plongeon dans les TCA, je pense). Mon objectif était de créer un déficit calorique et perdre du poids comme ça. Je faisais en parallèle de plus en plus de sport, et j’ai perdu du poids. Mon entourage me félicitait. Tout le monde remarquait que j’avais minci. Moi, je ne voyais rien. Je ne voyais pas mon corps tel qu’il était. Encore aujourd’hui, je vis avec une dysmorphophobie. Parfois, je me vois plutôt mince (bien que jamais assez) et à d’autres moments, je me trouve énorme. Dans ce deuxième cas, j’ai l’impression que je n’ai aucune valeur. Je ne me vois belle que dans les images du passé alors que je n’aimais pas non plus mon corps à cette époque-là.

J’ai repris du poids pendant le confinement. La pandémie du Covid-19 et tout ce qu’il a impliqué ainsi que le fait de grossir à nouveau ont déclenché chez moi une dépression. Cela m’a fait encore plus grossir. Aujourd’hui, j’ai atteint un poids que je trouve trop élevé. J’ai l’impression que peu importe ce que je décide de manger ou pas, je juge, malgré moi, tout ce que je mange – si je considère que ce que je mange est « sain » ou même tout bêtement « bien ».

Pendant cette prise de poids, j’ai eu le sentiment que je ne devais plus m’autoriser à me montrer. Comme si mon corps était à lui seul, une insulte aux autres. Comme si je n’avais pas le droit de leur imposer cette vision d’horreur. Ces pensées sont dures à accepter car j’ai envie de vivre ma vie mais je souffre continuellement d’un manque de confiance en moi (ou du moins de mon aspect physique) ainsi que du jugement des autres. Bien que je ne reçoive plus de remarques aujourd’hui, je sais que tout le monde voit que je suis grosse. J’ai l’impression que les gens se disent la même chose que ce que mes camarades de classe me disaient quand j’étais enfant. Je crois qu’ils sont juste trop polis pour me le dire à nouveau en face. Lorsque des gens veulent être amis avec moi, cela me paraît surréaliste, je ne vois pas ce qui peut les attirer vers moi. M’habiller est aussi un casse-tête car il faut trouver le juste milieu entre être à l’aise, me trouver jolie et éviter tout jugement négatif venant d’autrui.

J’essaye de perdre à nouveau du poids mais cette fois-ci, je veux guérir. Pour cela, il faut que j’accepte le fait d’avoir pris du poids et que cela ne m’empêche plus de vivre. Je travaille là-dessus avec Alice. J’essaie d’accepter le fait que ce n’est pas forcément grave si je reste à ce poids-là toute ma vie. J’ai toujours eu peur de grossir et c’est toujours le cas aujourd’hui. C’est cela qui cause, souvent, des périodes de restriction puis des compulsions alimentaires. Je pense que pour guérir, il faut que je m’émancipe totalement de cette peur. Je vis avec des TCA depuis presque 10 ans et c’est dans une démarche de guérison que j’ai décidé d’entamer un suivi. Bien que le chemin soit encore long, elle m’aide à réparer la relation que j’entretiens avec mon corps et la nourriture. Ce qui m’aide particulièrement dans mes séances, c’est qu’elles m’aident à déculpabiliser, ce qui est déjà un grand pas. Il y a également un vrai équilibre dans le travail que nous faisons ensemble entre la partie nutritionnelle et la partie plus sensorielle et émotionnelle.