La néophobie alimentaire, vous l’avez sûrement connue étant enfant. Entre 18 mois et 6 voire parfois 9 ans, c’est un comportement alimentaire totalement normal qui s’installe face à la nouveauté : l’enfant est hyper-sélectif, il rejette les nouveaux aliments comme les fruits et les légumes, son comportement face à son assiette est changeante ; il observe, triture, la sent, sans la consommer. Et souvent, les parents sont démunis et inquiets face à ces refus, bien que légitime, alors qu’il s’agit d’un comportement passager, qui est censé s’estomper avec le temps. Néanmoins, chez certains patients, il persiste à l’âge adulte et est trop méconnu.

La symptomatologie de la néophobie alimentaire

La première chose à savoir est que la néophobie alimentaire n’est pas classée dans les Troubles du Comportement Alimentaire comme le sont l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie, mais appartient aux troubles alimentaires non spécifiés appelés aussi « TCA atypiques ». On l’appelle aussi l’ARFID (Avoidant Restrictive Food Intake Disorder), il s’agit donc d’un trouble de restriction ou de l’évitement de l’ingestion d’aliments. Il n’a été reconnu que très récemment comme un trouble dans le DSM V (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux) en 2013. Les études concernant la prévalence de l’ARFID ont produit des estimations très différentes, allant de 0,3 à 22 % chez les enfants.

La façon dont s’exprime la néophobie alimentaire à l’âge adulte a quelques similitudes par rapport à celle de l’âge enfant. Néanmoins, on en parle trop peu ce qui entraîne des erreurs de diagnostic (souvent confondue avec l’anorexie mentale), ou de non-diagnostic, faisant penser aux patients qu’ils sont juste « difficiles », alors qu’il s’agit d’une vraie souffrance. On retrouve bien évidemment la peur et le rejet partiel ou total des aliments nouveaux ou d’aliments précis selon chacun(e). Car en effet, il semble y avoir plusieurs stades ; un comportement flexible, avec la notion de réticence face à l’assiette, un temps long consacré à l’observation de la nourriture, sans vraiment la consommer. Il y a aussi des comportements plus rigides avec un refus catégorique et total des nouveaux aliments présentés ou des aliments méconnus. Enfin, l’hyper-sélectivité alimentaire induit une consommation d’aliments très limités et relève de la pathologie. De ce fait, lorsque ce comportement persiste à l’âge adulte, on retrouvera la consommation prédéfinie d’une dizaine voire quinzaine d’aliments, souvent ceux de son enfance. Il s’agit bien souvent d’aliments au goût neutre, faciles à digérer et communs (comme les pâtes, le riz, le jambon, l’œuf…). Chez certain(e)s patient(e)s adultes chez qui l’ARFID persiste, on retrouve la sensation d’étouffement, de haut-le-cœur à la vue, l’odeur, l’ingestion de ces aliments problématiques. On retrouve aussi la notion d’hypersensibilité notamment physique.

Le diagnostic de la néophobie alimentaire

Selon le DSM V [1], il existe 4 critères qui permettent de diagnostiquer la néophobie alimentaire :

A. Un trouble de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments qui se manifeste par une incapacité persistante à atteindre les besoins nutritionnels et/ou énergétiques appropriés, associée à un (ou plusieurs) des éléments suivants :

1. Perte de poids significative (ou incapacité d’atteindre le poids attendu, ou fléchissement de la courbe de croissance chez l’enfant)

2. Déficit nutritionnel significatif

3. Nécessité d’une nutrition entérale par sonde ou de compléments alimentaires oraux

4. Altération nette du fonctionnement psychosocial

B. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un manque de nourriture disponible ou par une pratique culturellement admise.

C. Le comportement alimentaire ne survient pas exclusivement au cours d’une anorexie mentale (anorexia nervosa), d’une boulimie (bulimia nervosa), il n’y a pas d’argument en faveur d’une perturbation de l’image du corps (perception du poids ou de la forme).

D. Le trouble de l’alimentation n’est pas dû à une affection médicale concomitante ou n’est pas mieux expliqué par un autre trouble mental. Lorsque le trouble de l’alimentation survient dans le contexte d’un autre trouble ou d’une autre affection, la sévérité du trouble de l’alimentation dépasse ce qui est habituellement observé dans ce contexte et justifie, à elle seule, une prise en charge clinique.

Diagnostic différentiel entre ARFID et autres TCA

Le trouble de l’ingestion d’aliments peut être assimilé à l’anorexie mentale et être difficilement différencié ; du fait du refus parfois presque total de s’alimenter et du poids très bas engendré [2]. Néanmoins, l’ARFID est caractérisée par l’absence de préoccupations vis-à-vis de son image corporelle, de son poids, de la peur de grossir. L’évitement des aliments et le refus de les ingérer n’est pas lié non plus à leur densité calorique ou au classement en « bons » et « mauvais » aliments, mais provient d’une phobie.

Les mécanismes physiologiques et psychologiques de la néophobie alimentaire

Les causes sous-jacentes sont difficiles à explorer, elles dépendent avant tout de chaque patient(e), ce qui demande une exploration en profondeur de son comportement alimentaire ainsi que de son environnement alimentaire à l’âge enfant. Il faut néanmoins essayer de comprendre si la cause est d’ordre psychique ou physiologique, car la prise en charge sera différente. Du point de vue psychique, on retrouve parfois la peur de s’étouffer, la peur de mal digérer et d’entraîner de forts symptômes intestinaux, la peur de vomir. Cela peut également provenir de l’enfance, avec des traumatismes directement liés à l’ingestion d’aliments, un contexte environnemental et familial perturbé au moment des repas, des remarques culpabilisantes sur son poids ou ses consommations alimentaires. Du point de vue physiologique, il se peut que la néophobie alimentaire soit la conséquence d’un dysfonctionnement des fonctions de déglutition, le symptôme d’un trouble de l’oralité alimentaire, qui crée une réelle barrière physique à l’ingestion de certains aliments.

Quelles sont les conséquences de l’ARFID ?

Pour l’ARFID comme pour les troubles du comportement alimentaire, on retrouvera des comorbidités à la fois psychiques et psychiatriques, d’ordre nutritionnel mais également somatiques. Pour les troubles somatiques, on retrouve des troubles gastrointestinaux comme le reflux gastro-oesophagien, des ballonnements et problèmes de digestion consécutifs à une perte de muscle lisse et une atrophie des villosités intestinales, les MICI (Maladie de Crohn et Rectocolite Hémorragique), la maladie cœliaque (intolérance au gluten) ainsi que d’autres intolérances alimentaires. Parmi les troubles psychiatriques, on retrouve souvent des troubles anxieux. Au niveau du tableau clinique et nutritionnel, on pourra retrouver une asthénie, des fragilités physiques, une dénutrition consécutives à des carences nutritionnelles et micronutritionnelles et un IMC particulièrement bas chez ces enfants ou ces adultes.

La prise en charge thérapeutique

Comme tous les troubles d’ordre alimentaires, la prise en charge est pluridisciplinaire : elle implique les diététicien(ne)s, les psychologues et les orthophonistes.

Du point de vue nutritionnel, la prise en charge avec mes patient(e)s atteints de néophobie alimentaire se déroule en plusieurs étapes. Il s’agit, dans un premier temps, d’effectuer un travail de verbalisation de ses peurs, des émotions et ressentis induits vis-à-vis de la nourriture et des aliments problématiques : « qu’est-ce que je ressens quand je mange, et pourquoi ? ». Ce travail permettra notamment de comprendre les causes psychiques ou physiologiques de l’anxiété générée face à ces aliments afin de les traiter, en parallèle d’une psychothérapie, notamment les TCC (Thérapies Cognitives et Comportementales). Ensuite, il s’agit avec le ou la patient(e) d’établir une « hiérarchie des peurs » propre à chacun ; quels sont les aliments les plus problématiques et ceux qui le sont le moins, toujours en étudiant les ressentis physiques, physiologiques, les sensations alimentaires perçues et les émotions. Enfin, le principe de l’exposition répétée aux aliments ; plus on est confronté à l’objet de sa phobie, plus on la tolère progressivement. Il s’agira, petit à petit, d’établir une alimentation en douceur qui vise à réintroduire les aliments les moins problématiques d’abord, en petite quantité et sous différentes formes et textures, jusqu’aux plus problématiques. L’accent lors des consultations de suivi sera notamment mise sur les ressentis induits, la verbalisation des difficultés rencontrées, la réadaptation de l’alimentation. Il s’agit d’une prise en charge bienveillante : il faut différencier ce qui relève de la peur alimentaire et ce qui relève des goûts personnels, le but n’étant pas d’obliger le/la patient(e) à réintroduire tous les aliments existants. Mais une éviction alimentaire doit être saine, voulue, consciente, par préférence gustative ou par conviction éthique. Donc un travail de personnalisation et d’adaptation sera mis en place : par la substitution des aliments trop problématiques par des aliments plus acceptables contenant les mêmes bienfaits nutritionnels, afin de couvrir les besoins physiologiques du patient. La surveillance du profil micronutritionnel par l’investigation paraclinique est mise en place afin de supplémenter au besoin et de limiter les déficiences nutritionnelles.

Dans le cas particulier de la néophobie alimentaire chez l’enfant, il peut aussi être proposé de suivre une thérapie familiale avec un(e) psychologue en parallèle du suivi diététique, afin d’impliquer parents et enfants. Chez l’adulte comme chez l’enfant, si ce comportement est la résultante d’un trouble de l’oralité alimentaire ou d’un trouble de la déglutition, il faudra aussi veiller à être suivi(e) par un(e) orthophoniste.